Michel Desvigne, grand prix de l'urbanisme 2011

Publié le par AlainG

Une information du Moniteur sur le Grand Prix de l'Urbanisme 2011, remis ce lundi au Ministère de l'Ecologie.

 

Voir aussi sur le site d'Urbanews le reportage sur le projet de réaménagement du Vieux Port de Marseille qui va démarrer. A voir ici. L'aménagement sera t'il prêt pour 2013 ?

 

Aline Gillette et Cyrille Véran 

© Thomas Gogny / Le Moniteur
Michel Desvigne, paysagiste, Grand Prix de l'urbanisme 2011

Occupé à parcourir le monde pour des projets aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, enseignant à Harvard et en Suisse, collaborant avec les plus grands noms de l’architecture, le paysagiste Michel Desvigne recevra le 30 janvier à Paris le Grand Prix de l’urbanisme 2011. Portrait et entretien.

Après Alexandre Chemetoff et Michel Corajoud, par lesquels il a été fortement influencé et avec lesquels il a réalisé ses premiers projets, Michel Desvigne, 53 ans, est le troisième paysagiste à recevoir cette distinction. Botaniste et géologue de formation, considéré par ses pairs comme « le plus anglo-saxon » des paysagistes français, il se déclare « passeur entre cultures ». Son héritage revendiqué des grands parcs aux Etats-Unis propose de renouer avec la géomorphologie des lieux et d'en faire le principe fondateur de l'intervention urbanistique et paysagère. Sa réflexion sur les lisières, espaces délaissés entre ville et campagne, a fait l'objet de propositions ambitieuses dans le cadre du Grand Paris, avec l'équipe de Jean Nouvel. Ses projets les plus récents, comme l'aménagement du plateau de Saclay (7700 hectares), des espaces publics d'Euralens ou la phase 2 de Lyon Confluence, confirment la confiance qui lui est accordée pour gérer des territoires et enjeux écologiques à très grande échelle. Depuis le conseil d'administration de l'école du paysage de Versailles, il orchestre le rapprochement de l'enseignement du paysage avec l'ingénierie, convaincu que seuls des fondements scientifiques permettront de passer d'une écologie fantasmée à des pratiques pertinentes, et d'éviter ainsi le « greenwashing », qui dévoie des sujets essentiels en leur donnant une image écologique faussement responsable…

 

A retrouver dans le « Moniteur » n°5643 du 20 janvier 2012 (pp. 23-27), le point de vue de Michel Desvigne sur : le métier de paysagiste, l’influence américaine, la pratique à l’étranger, la commande publique, le refus des modes, les outils de représentation, les paysages intermédiaires et l’expérimentation.

FOCUS

Parcours

1958 : naissance à Montbéliard (Doubs)

1984 : paysagiste DPLG (ENSP Versailles)

1986 : pensionnaire de la Villa Médicis à Rome

1988 : création de son agence (avec Christine Dalnoky jusqu'en 1996)

1989 : jardin pour des logements rue de Meaux, Paris (avec R. Piano)

2005 : espaces publics d'Almere aux Pays-Bas (avec l'OMA)

2005 : Lyon Confluence, phase 1 (avec F. Grether)

2009 : Lyon Confluence phase 2 (avec Herzog & de Meuron)

2010 : Cluster Paris-Saclay (avec X. de Geyter, F. Alkemade et Arep)

2010 : espaces publics d'Euralens (avec C. de Portzamparc)

2011 : réaménagement du Vieux-Port de Marseille (avec N. Foster)

2011 : Skolkovo Innovation Center, Moscou (avec Herzog & de Meuron, Valode et Pistre, Sanaa, OMA, Arep, D. Chipperfield)

FOCUS

Entretien

Après Alexandre Chemetoff et Michel Corajoud, vous êtes le troisième paysagiste à recevoir le Grand Prix de l’urbanisme. Y voyez-vous une signification particulière ? Une forme de paradoxe ?

Au premier abord, cela peut paraître un peu surprenant, mais dans le contexte actuel, ça l’est moins. Nous sommes dans une période de pleine recomposition de nos territoires et nos réflexions s’inscrivent au-delà des quartiers ou des îlots. Elles concernent le péri-urbain avec les problématiques que l’on connaît fort bien et dont les réponses relèvent de l’échelle paysagère, ce qui n’exclut pas, bien entendu, toutes les autres compétences dont l’urbanisme et l’architecture. Je pense que le paysage est le meilleur atout pour assurer la recomposition de nos villes, comme il l’a été au cours de la seconde moitié du XIXe aux États-Unis lorsqu’il a servi de colonne vertébrale et de support au développement des grandes agglomérations.

 

Mais pourquoi avez-vous choisi ce métier de paysagiste ?

Dès mon adolescence, j’ai voulu faire ce métier, sans savoir vraiment ce que c’était ! Je ne me voyais pas toute la journée assis dans un bureau !

 

Vous avez forcément des « inspirateurs ». Quelles sont vos « références » ?

Nous avons tous été influencés. Michel Corajoud, Alexandre Chemetoff ont beaucoup compté et comptent encore beaucoup pour moi. Sans oublier Christine Dalnoky, Gilles Vexlard et bien d’autres qui forment une véritable « école » française. Aux États-Unis, j’apprécie particulièrement les travaux de James Corner…

 

Où situez-vous la « frontière » entre ces deux métiers : urbanisme et paysage ?

Nous apportons des contributions totalement différentes mais complémentaires. Personnellement, je ne me sens pas du tout urbaniste ! L’urbaniste s’intéresse au construit, organise les masses bâties tandis que le paysagiste évalue la géographie des lieux, avec ses vallées, sa topographie, son agriculture… Les capacités d’observation du premier ne sont pas celles du second. Nous ne voyons pas les mêmes choses, mais ces deux visions sont nécessaires pour arriver au but : transformer le territoire. Car c’est de cela qu’il s’agit et non pas de créer de nouvelles villes. Agir sur la ville, sur un territoire, ne relève que de la transformation. Il faut être capable de prendre la mesure de l’existant pour le transformer et dans cette action, la contribution du paysagiste est extrêmement forte.

 

Quelle est la nature de cette contribution ?

Elle est très complexe à mettre en place et à concrétiser. Une ville, c’est un centre - plus ou moins historique selon les cas - qui représente environ 20% de son territoire, le reste étant ce qu’il y a autour. Il ne s’agit donc pas de se demander si on peut planter ici ou là… Ce serait trop simple ! Ces 80% restants, le plus souvent constitués de lotissements, ne disposent d’aucuns espaces publics, ni de relations, de transitions ou de cheminements avec « l’au-delà », c’est-à-dire la campagne environnante. Dès lors, l’une des questions primordiales qui se pose est celle de la lisière. Comment apporter de la qualité à cette frange, entre la ville et l’agriculture et comment faire pour que celle-ci devienne réellement péri-urbaine avec une vraie contribution vivrière ?

 

Tous ces manques, notamment d’espaces publics, entraînent souvent un repli des habitants sur eux-mêmes…

C’est pourquoi il faut travailler sur l’agronomique, l’économique et le social. Le véritable espace public qui fait défaut, ce sont ces tissus de chemins entre le bâti et l’agriculture, des prés et des vergers communs… Il faut inventer de nouveaux espaces publics à partir d’une domestication de la campagne et une imbrication de la petite agriculture avec les lieux de vie et ne pas se contenter de réaliser des placettes, des petits parcs et des jardins.

 

Il y aurait donc deux métiers de paysagiste selon l’échelle du projet ?

Certains se sentent plus « jardiniers » comme Pascal Cribier ou Gilles Clément… Certains préfèrent travailler sur d’autres échelles. Ce sont des choix personnels et respectables. L’un n’empêche pas l’autre ! Le Nôtre a transformé un territoire de chasse en espace de vie, précurseur de la ville classique. Je suis persuadé que ces deux échelles peuvent et doivent coexister. Je crois profondément au bénéfice des allers et retours entre les réflexions à grande échelle et les pratiques à petite échelle. Il s’agit du même métier, mais avec des champs d’actions différents.

 

Appréciez-vous néanmoins faire des petits jardins ?

Bien sûr ! Nous venons d’en faire deux à Paris, l’un de 170 m2 pour le ministère de la Culture et l’autre près du parc Montsouris. Même si ce sont des jardins à caractère expérimental, nous avons pris beaucoup de plaisir à les faire…

 

Comme celui qui se trouve sur l’Île Seguin, dans les Hauts-de-Seine ?

Il s’agit d’un jardin éphémère, simple, qui met en scène les chantiers alentours. Il permet d’accepter l’inachevé. C’est un paysage de préfiguration dont nous allons reproduire le concept à Saclay et à Moscou.

 

Et la botanique dans tout cela ? On entend souvent dire que les paysagistes n’y entendent pas grand-chose…

C’est une discipline difficile ! Même si j’ai fait deux ans de botanique, à l’agence, nous faisons toujours appel à des spécialistes, écologues et/ou botanistes. Et puis, dans les services espaces verts de ville, il y a de plus en plus de compétences dans ce domaine, sans compter l’assistance spécialisée à maître d’ouvrage toujours possible. La filière se structure et les projets présentent désormais de réelles qualités.

 

Le métier est donc enfin reconnu ?

Je le pense… Il y a une vingtaine d’années, la présence d’un paysagiste dans les équipes de concours n’était pas jugée nécessaire et n’était pas monnaie courante… Il n’était sollicité que si le mandataire, architecte ou urbaniste, avait la générosité de le faire participer ! Aujourd’hui, les paysagistes sont souvent mandataires, ce qui était inimaginable auparavant…

 

Ce qui devrait contribuer au développement de la profession. On dit souvent qu’il n’y a pas assez de paysagistes en France…

C’est parfaitement exact ! Je suis président du conseil d’administration de l’École nationale supérieure du paysage et je peux vous révéler qu’il s’agit pour nous d’un enjeu prioritaire pour les années à venir. Il y a tellement de besoins…

 

Propos recueillis par Frédéric Lenne et Eric Burie, publiés dans « Paysage Actualités » en septembre 2011 (pp. 22-23).

 

01/02/2012

Publié dans Urbanisme

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