La croissance verte est-elle désavouée ?
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© JournalLive Northumberland/Flick'r
Pales d'éolienne au sol
Lors d' une table ronde organisée par l'agence de communication Open2Europe, le 14 septembre dernier à Paris, Thierry Bièvre, directeur général d'Elithis Ingénierie, Arnaud Gossement, avocat
associé du cabinet Huglo-Lepage & Associés et Anouck Colson, la directrice déléguée de SolarWall Europe, ont identifié les freins juridiques et administratifs relatifs à la croissance verte.
Morceaux choisis.
Six juillet 2007, à Paris. Devant la presse, Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Ecologie, présentait par le menu l'organisation du futur Grenelle de l'Environnement. La croissance «verte»
promettait, par exemple, la création d'au moins 600 000 nouveaux emplois d'ici à 2020. Et devait injecter plus de 450 milliards d'euros d'activité économique supplémentaires. A eux seuls, les
travaux liés à la rénovation énergétique dans la filière du bâtiment -- en vue d'améliorer les performances thermiques du parc résidentiel et non résidentiel -- allaient engendrer la création de
plus de 390 000 postes dans les entreprises de BTP.
Avocat associé du cabinet Huglo-Lepage & Associés, Arnaud Gossement a rappelé en préambule de cette table ronde que «dans son article I, la loi [n° 2009-967] du 3 août 2009 [dite loi Grenelle
I : ndlr] explicite en termes clairs la notion de croissance durable et décline par secteurs d'activité [bâtiment, transports, industrie, agriculture, etc. : nldr] les grands objectifs. A titre
d'exemple : 23% d'ENR à l'horizon 2020 dans la consommation finale d'énergie». Autrement dit, pour ce spécialiste du droit de l'environnement, le législateur a fourni aux acteurs économiques «des
objectifs ambitieux, mais néanmoins... clairs». Entre-temps, il semble bien que le législateur a eu tendance à complexifier la «boîte à outils» réglementaire pour appliquer l'esprit initial de
loi ; surtout depuis la promulgation du Grenelle II (loi n° 2010-788 du
12 juillet 2010).
«Problèmes de droit !»...
Au-delà de l'épisode à rebondissement de la contribution énergie-climat -- muée, in fine, en taxe carbone, puis retoquée par la Conseil d'Etat en fin d'année dernière ! --, Arnaud Gossement a
pointé «un problème de droit» en citant le cas exemplaire de la récente révision, à la baisse, des tarifs d'achat de l'énergie solaire par l'opérateur historique. «Avec pas moins d'une douzaine
de textes sur le sujet, les entreprises du secteur photovoltaïque sont aujourd'hui perdues ! [...] Tout se passe désormais comme si les leviers de la croissance «verte» étaient devenus des...
niches
fiscales», a regretté l'avocat. Et de se demander, à dessein, si «cette croissance «verte» était morte, alors que les objectifs du Grenelle sont pour demain [d'ici à 2020 pour la première étape :
ndlr] » ; alors que dans son édition du dimanche 19 septembre, Le Journal du Dimanche consacrait une pleine page sur «le blues des énergies vertes»... Reste que le mix énergétique de la France a
déjà commencé à évoluer dans le bon sens.
Parmi les patrons de PME présents, Stéphane Moreau, président et fondateur d'Evasol -- le leader français sur le segment de l'installation de panneaux photovoltaïques en France pour le marché b
to c -- a enfoncé le clou. «Ce marché sort de l'ombre [le parc hexagonal a dépassé les 500 MW fin juin, en hausse de + 69% au premier semestre 2010 selon le dernier tableau de bord du
Commissariat général au développement durable : ndlr].
Or les Pouvoirs publics rouvrent les débats technique et fiscal. Les délais de raccordement des installations au réseau ne se réduisent pas. Y aurait-il une posture anti-photovoltaïque en France
? Il faut faire attention de ne pas sombrer dans l'intégrisme (sic) anti-ENR !», a pesté cet entrepreneur dont la société est «née Grenelle». Pour Arnaud Gossement, il est impératif que «l'Etat
fixe -- enfin ! -- des règles claires afin de ne pas décourager les PME du secteur aux profits des grands opérateurs historiques. Le cas échéant, le risque est d'assister à un coup de frein à
l'innovation et à l'emploi». N'empêche. Le «millefeuille réglementaire» reste une tradition française bien ancrée.
... Et freins administratifs
Autre handicap soulevé, entre autres, par Anouck Colson, la directrice déléguée de SolarWall Europe : «les lourdeurs et freins administratifs». Spécialiste de la technologie du chauffage de l'air
en milieu industriel, sa maison-mère canadienne
Conserval Engineering a décidé d'implanter sa tête de pont sur le Vieux Continent en France.
Pourquoi ? Tout simplement, selon la dirigeante, parce que «c'est le pays d'Europe qui accuse le plus gros retard en termes d'ENR et qui offre donc de forts potentiels». Pour pouvoir
commercialiser sa technologie innovante et répondre aux impératifs de l'assurance décennale obligatoire dans la filière du bâtiment, la filiale a dû se frayer un chemin dans les méandres
«administratifs et technocratiques » du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour obtenir l'avis technique. Après dix à dix-huit mois d'examen du dossier, ce précieux sésame
permet aux industriels des matériaux de construction de valider leurs solutions technologiques sur le plan structurel et énergétique.
Face à l'inertie qui prévaut chez de nombreux professionnels du BTP, Thierry Bièvre, le directeur général d'Elithis Ingénierie -- une société oeuvrant sur le segment des fluides techniques et de
l'efficience énergétique des bâtiments -- déplore que «cet établissement public [le CSTB a des missions de recherche, d'expertise, d'évaluation et de diffusion des connaissances dans le domaine
des matériaux de construction afin de répondre aux objectifs de développement durable : ndlr] rajoute une pression supplémentaire auprès des entreprises».
Réponse du berger à la bergère avec Stéphane Moreau. Afin de contourner «ces barrières à l'entrée sur [le terrain des] innovations» et «la lenteur administrative » du CSTB, le patron d'Evasol a
décidé de travailler main dans la main avec une équipe de techniciens du groupe d'assurances Axa. But concret ? Travailler sur la problématique de l'assurance décennale pour des solutions
techniques en cours de développement -- et pour lesquelles aucun brevet n'a encore été développé -- afin de proposer auxmaîtres d'oeuvre et d'ouvrage des offres fiables sur le plan technique et
énergétique bien sûr, mais aussi en termes d'assurances... In fine, l'avocat Arnaud Gossement a remis à l'index «un problème de culture politique». Des modèles à réinventer En somme, ces cinq
experts suggèrent que le gouvernement doit changer de braquet dans sa mise en application du Grenelle de l'Environnement.
Un changement de culture s'impose. Stéphane Moreau (Evasol) propose, ainsi, de «raisonner à l'horizon 2040 ou 2050 plutôt qu'à dix ans». Quoi qu'il en soit, les uns et les autres s'avouent,
finalement, «pas inquiets sur le long terme», car«la croissance «verte» finira par s'imposer d'elle-même». Voire. A condition toutefois qu'«il y ait une réelle transition des modèles vers cette
croissance durable», comme le pense René-Louis Perrier, le président d'Ecologic, une entreprise axée sur la récupération et le recyclage des déchets électriques et électroniques.
En termes de stratégies d'entreprise, Thierry Bièvre (Elithis Ingénierie) appelle à «un croisement [renforcé] des disciples». «Pour réussir son modèle «vert», croit-il savoir, il faut désormais
mixer la matière grise conceptuelle, industrielle et entrepreunariale. Les entreprises vont devoir axer leurs stratégies vers une pluralité de [savoir-faire], à l'image des sociétés de la filière
éolienne qui, dorénavant, développent une expertise technique, juridique, environnementale, mais aussi sociétale.
En fait, l'industrie légère n'est plus seulement une affaire d'ingénieurs !» Quitte à exhorter les PME à démultiplier les alliances stratégiques face à de puissants énergéticiens qui ont tous
désormais, peu ou prou, leurs filiales ENR ad hoc. Alors que la prise en compte de l'environnement devrait sensiblement modifier les contours du marché du travail -- via l'émergence de nouveaux
métiers, mais également l'évolution de fonctions déjà existantes --, René-Louis Perrier (Ecologic) estime que «les métiers de service liés à l'environnement, à l'instar de l'écoconception, sont
«la» voie d'avenir. C'est là que réside la vraie valeur ajoutée pour permettre aux consommateurs de mieux acheter».
Vers une consommation... «émotionnelle» ?
Prenant la balle au bond, Arnaud Gossement s'est même risqué à parler de décroissance «comme un signe positif de la croissance «verte»». Selon le point de vue du spécialiste en droit de
l'environnement, si la société veut se plier aux exigences du Grenelle de l'Environnement, «ce n'est pas [en se contentant] de réaliser un quartier HQE [haute qualité environnementale : ndlr] en
dépit des récentes technologies de rupture comme les matériaux de construction à changement de phase ! Il faut plutôt chercher à réduire la distance entre [les zones de] logements et de travail.
Décroître sur les temps de transports, c'est faire l'option d'une consommation intelligente».
Autrement dit, il s'agit là d'un plaidoyer en faveur de «l'économie d'usage». Raison pour laquelle Thierry Bièvre (Elithis Ingénierie) a mis en exergue la notion de croissance... émotionnelle» !
Pour cet expert du bâtiment à énergie positive , «la société va assister à un changement de posture de la part du consommateur qui devient plus «écosolidaire»». Un cercle vertueux «impératif»
selon les intervenants à cette table ronde. A titre d'illustration : la relative montée en charge des volumes de déchets électriques et électroniques collectés et recyclés pour être réintégrés
dans le circuit économique afin de «répondre à une maîtrise de la consommation et de la production de matières premières», selon Stéphane Maureau (Evasol).
Toutefois si le mix énergétique de l'Hexagone évolue -- à pas mesurés - dans le bon sens, Arnaud Gossement s'interroge : «Une croissance «verte» : oui ! Mais pour qui ? Il faut la raccrocher à
l'aspect social. Les Pouvoirs publics ne pourront pas faire l'impasse sur une réflexion sociale à son sujet ». Allusion à peine voilée à la précarité énergétique contre laquelle le
gouvernement Fillon a annoncé, le 26 janvier dernier, la mise en place d'un engagement national. Avec l'objectif affiché de réhabiliter, sur la période 2010-2017, les logements de 300 000
propriétaires occupants modestes.
25/09/2010