Energie et paysage
Un article personnel selon ma vision de la problématique du paysage et de l'énergie, au sens des énergies nouvelles et de leur acceptabilité sociale.
Les quelques références en fin de texte se rapportent à des éléments intégrés dans l'article. Juste un petit problème pour fixer les balises de références de bas de
page.
La rencontre des domaines de l’énergie et du paysage n’aurait pas eu le même sens voici 10 ou 20 ans. Nous sommes à une époque charnière sur le plan environnemental au cours de laquelle nous avons collectivement pris conscience de la finitude de notre monde et surtout de la limite de nos ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon). Ressources que nous avons gâchées et que nous continuons à gâcher allègrement au quotidien …
De fait, notre mode de vie nous rend tributaire de besoins importants d’énergie pour toutes sortes d’usages, des plus élémentaires aux plus futiles. Nous sommes cependant dans l’obligation de trouver des alternatives crédibles à ces énergies fossiles …
La concomitance du réchauffement planétaire (qu’il soit dû aux énergies fossiles ou à tout autre phénomène) et de ses conséquences à venir est là aussi pour nous alerter.
Des solutions existent et sont étudiées et/ou développées. Aujourd’hui nous n’avons abordé que quelques unes de ces pistes parce qu’elles touchent directement à notre environnement, à notre cadre de vie, à notre paysage du quotidien. D’autres technologies, plus discrètes (hydroliennes) ou individuelles (pompes à chaleur) ne font peut-être pas autant débat parce qu’elles sont moins visibles mais toutes posent la question de notre consommation et de notre capacité à limiter notre empreinte énergétique.
Je ne sais plus qui a dit « la meilleure énergie renouvelable, c’est celle que l’on ne consomme pas » mais il y a au travers de cette affirmation une réalité incontournable. C’est d’ailleurs tout le sens qui prévaut dans l’information délivrée au consommateur pour l’électroménager ou les véhicules …
Pour revenir à ce qui nous occupe aujourd’hui, la problématique du paysage et de l’énergie peut s’illustrer au regard des trois des principales énergies renouvelables du moment que sont l’éolien, le photovoltaïque et la biomasse.
Les différentes expériences passées ou en cours sur des projets donnent un éclairage particulier mais concret sur la nécessité d’intégrer dans leur définition cette part dite « subjective » qu’est le paysage. Elle ne l’est peut-être pas autant que cela subjective … Certains osent même « quantifier » l’impact paysager avec des règles mathématiques … N’étant pas très bon dans ce domaine, je ne m’y hasarderai pas …
Ce qu’il me semble important de retenir, c’est qu’il y a une vraie problématique d’acceptabilité sociale de ces équipements énergétiques et surtout un besoin de débat qui est actuellement biaisé par des intérêts contradictoires entre les différents acteurs. Ce n’est pas durable et nous ne pourrons en sortir que par une plus grande transparence des démarches.
L’éolien
Concernant l’éolien, nous commençons à y voir plus clair sur ce qu’il est important de faire en matière de paysage mais il aura fallut attendre une décennie pour développer ou adapter des outils et des méthodologies propres à rendre compte des effets prévisibles des éoliennes dans un paysage. C’est aussi au travers du retour d’expérience de ce qui s’est développé, de ce qui s’est construit que nous pouvons appréhender cette problématique. Là les éoliennes s’intègrent ou créent du paysage, ailleurs, elles l’écrasent … Le développement des associations pro et anti éoliennes est un indicateur au même titre que certaines conclusions de rapports d’informations (Assemblée, Académie)… L’éolien n’est pas que de l’énergie verte, c’est aussi un équipement qui modifie notre environnement …
En parallèle, le développement de guides techniques, de schémas et de cadrages à différentes échelles constituent autant de nouvelles références pour l’insertion des éoliennes dans nos territoires. Pour le moins, ces outils de prise en compte effective de la problématique « paysage » existent et peuvent être intégrés dans la définition des projets.
Concernant des installations existantes, c’est une autre affaire qui peut se régler parfois par voie judiciaire (exemple de 4 éoliennes qu’il va falloir démonter dans l’Aude) ou qui posera question à l’horizon des 20 ou 30 ans à venir lorsque l’équipement deviendra obsolète… Faudra t’il démanteler, reconfigurer ou développer à nouveau ? Il n’y a pas de réponse exclusive, bien évidemment.
Le photovoltaïque
Concernant ce domaine du photovoltaïque au sol, relativement nouveau en France, nous sommes encore à un moment de défrichement du sujet avec des inquiétudes réelles sur la façon de développer cette filière et des conséquences sur le territoire. Il est vrai que certaines expériences étrangères (Espagne) ont de quoi effrayer… Le Ministère lui-même, face à la multitude des projets en cours fin 2009 semblait inquiet et révisait à la baisse par décret le prix de rachat
Nous mêmes, nous sommes collectivement encore en phase d’apprentissage sur ce domaine, un guide national sur les études d’impact étant en préparation pour aller au-delà de l’exemple allemand. La prise en compte d’autres enjeux sectoriels comme l’agriculture , l’environnement ou l’aménagement sont à intégrer. Sur les territoires, la réflexion est engagée et les stratégies se mettent en place. Depuis 1 an ou 2, des départements ou des régions développent leur propre politique en réalisant des guides méthodologiques et des schémas … de manière à mieux intégrer les différents enjeux qui peuvent rendre les projets conflictuels. Il n’y a pas que le paysage en tant que tel, même si la perception de ces installations ne doit pas être négligée. Les enjeux évoqués précédemment sont autant de sujets à intégrer dans la définition même des projets ; projets qui doivent rester par ailleurs « à taille humaine ».
Si une réponse est en voie d’être apportée vis-à-vis de ces thèmes, la question du paysage dans son ensemble reste posée, quelque soit le contexte foncier. Outre l’aspect « artificiel » de l’installation, c’est bien la question de son insertion dans un territoire donné, de son étendue et des covisibilités qui est posée. Qui plus est sur des territoires où plusieurs projets pourraient de cohabiter … Quel impact cumulé ?
C’est bien l’ampleur de l’équipement, son objet et sa durée de vie (20 à 30 ans minimum) qui posent question sur d’éventuelles conséquences à long terme. Si des pistes proposent des combinaisons d’usages avec des productions horticoles, de l’élevage ou de l’apiculture, celles-ci restent à mettre en œuvre et à évaluer sur le long terme.
Au regard des objectifs 2020 de la PPI (programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité), qui fixe une production 5 400 MW solaires, on peut se poser la question de la nécessité de développer des centrales au sol quand il existe autant de toitures de bâtiments industriels non utilisés … Le photovoltaÏque au sol et ses conséquences ne seraient-elles pas un faux problème ? Peut-être n’est-ce qu’une question administrative et/ou fiscale …
La biomasse
Concernant le thème de la biomasse, si c’est une énergie d’avenir, c’est aussi une énergie « ancienne » qui a conditionné l’évolution historique de nos paysages. Au début du XIXe siècle, les besoins avaient été tels lors du siècle précédent que la forêt française ne représentait plus qu’environ 7 millions d’hectares. La demande était forte aussi bien pour la construction que pour le chauffage avec dans le même temps un espace agricole s’élargissant pour nourrir une population en croissance… d’où un changement important de nos paysages de l’époque.
Sur ce plan, le recours aux énergies fossiles à l’époque industrielle naissante, associé aux différentes périodes d’exode rural ont contribué à reconstituer un tissu forestier représentant 17 millions d’hectares en 2008 (30% du territoire), qui semble être un maximum … La demande croissante de bois énergie associée à l’anthropisation du territoire pourrait nous engager dans une nouvelle période d’évolution forte de nos paysage.
Ce ne sont pas tant les installations techniques qui posent problème que la gestion même du territoire en fonction de finalités de production. Si dans certains cas, ce peut être l’occasion d’une valorisation d’un patrimoine à priori sans valeur comme la forêt méditerranéenne, dans d’autres, cela peut engager une mutation profonde de la manière de gérer les domaines forestiers que ce soit en termes d’espèces (espèces à croissance rapide) aussi bien qu’en conduite forestière (des taillis plutôt que des futaies …). Et ainsi engager une mutation profonde de nos paysages boisés.
Mais la biomasse, ce sont aussi les cultures annuelles utilisées pour les biocarburants. Si elles peuvent représenter une opportunité pour les agriculteurs en mal de débouchés rentables, elles peuvent entrer aussi directement en concurrence avec les productions alimentaires mais aussi modifier les modes d’exploitations, les espèces cultivées et de fait les couleurs de nos campagnes …
L’hydroélectricité
Une des premières sources d’énergie renouvelable et mise en œuvre voici plusieurs décennies concerne l’hydroélectricité. A l’heure où l’on évoque des possibles changements de concessions portant sur 25% de ce type d’énergie à l’horizon 2015, il est à noter que ces équipements et ouvrages parfois imposants, ont été à l’origine de la constitution de nouveaux paysages, de nouvelles pratiques sociales, voire d’une nouvelle économie (tourisme) …
Et cependant qui oserait aujourd’hui réaliser par exemple Serre-Ponçon ?
Ce modèle ne peut exister et être valorisé que s’il reste unique dans son territoire …
Synthèse
Il y aurait bien d’autres éléments à porter au débat sur la question de la compatibilité entre énergies renouvelables et paysage mais c’est bien au travers de l’utilisation d’un panel de ressources que nous saurons répondre à nos besoins.
Pour autant, la politique énergétique ne peut se substituer aux autres politiques publiques, que ce soit en matière d’environnement, de biodiversité, d’agriculture ou de paysage. Il y a une nécessité impérieuse de croiser ces enjeux pour aboutir à des projets globaux cohérents et partagés.
Les conflits que l’on voit émerger dans l’examen des dossiers ou les recours viennent bien d’une incompréhension entre les acteurs sur un même territoire. Là où certains investisseurs flairent des aubaines, des riverains voudraient maintenir un statu-quo et les collectivités accroître leurs ressources. Si chacun a les préoccupations qu’il peut, tous sont amenés à vivre de près ou de loin sur ce territoire avec ces installations au quotidien.
Nous nous devons collectivement de réinstaurer un débat plus sain entre ces partenaires, au-delà même de considérations économiques, techniques ou égoïstes. Cela doit s’accompagner par une concertation transparente favorisant l’information, les échanges et l’intégration des projets. Car en définitive, ce qui pose problème c’est bien la perception qu’auront les populations et non pas l’équipement en tant que tel. Cette concertation doit cependant être à double sens et il n’est pas interdit au développeur d’être parfois modeste dans ses intentions et éventuellement même de revenir en arrière (éolienne moins haute, champs photovoltaïque moins étendu). Cela permettrait peut-être plus facilement de débloquer certains projets … L’acceptabilité sociale est à ce prix, sachant qu’elle dépend aussi bien de notre volonté de changer de société, de changer de mode de vie, avec l’émergence de certains Nimby que de l’existence de groupes industriels qui ne cherchent parfois que la rentabilité financière …
La réalisation des schémas régionaux climat air énergie (SRCAE), à l’initiative de l’Etat et en lien avec la Région, pourrait apporter une réponse globale partagée en définissant, entre autres, les zones propices aux ENR, à toutes les ENR, en recherchant des combinaisons et non pas des juxtapositions énergétiques.
Dernier point que je voulais aborder et pour lequel il faudra trouver une réponse durable ; elle concerne le devenir de ces installations techniques et de leurs équipements. Si actuellement nous sommes encore dans une phase d’exploitation et de développement technologique, il arrivera un temps, pas si lointain, où il faudra recycler, démanteler ou transformer ces équipements. Il nous faut dès aujourd’hui y penser par la mise en place de provisions financières d’une part mais aussi par le développement des filières adaptées, afin d’éviter peut-être un jour d’être face à de nouvelles formes de friches ou face à des déchets et pollutions ingérables, comme cela a pu être le cas autrefois dans la sidérurgie.
C’est peut-être çà aussi s’attacher à la préservation des paysages.
AG
Paysagiste DPLG
24/05/2010
Evaluation des questions soulevées par les demandes de construction de fermes éoliennes, CGPC, Daniel Burette, décembre 2004
Rapport d’information commune sur l’énergie éolienne, Assemblée Nationale, N° 2398, Franck REYNIER, Mars 2010
Etude paysagère de cadrage des projets éoliens dans les Bouches-du-Rhône et dans le Vaucluse, DIREN / carrés Verts, décembre 2002
Guide de la prise en compte de l’environnement dans les installations photovoltaïques au sol, l’exemple allemand, MEEDDAT, novembre 2007
Implantation de panneaux photovoltaïques sur terres agricoles. Enjeux et propositions, Quattrolibri, 2009
Les impacts environnementaux et paysagers des nouvelles productions énergétiques sur les parcelles et la bâtiments agricoles, MAP/SOLAGRO, Avril 2009
Arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité, JO du 10/01/2010